Nestor le castor architecte.

  Il était une fois, dans une grande forêt, une superbe rivière qui serpentait à travers bois et clairières. Sur cette rivière vivait un peuple de castors qui n'avait pas d'autre occupation que de bâtir un barrage afin de garder leur village sous l'eau.

  Nestor était le fils du chef du Clan des Castors de la Montagne Dorée. On l'appelait Montagne Dorée car dès le début de l'automne, les arbres prenaient une teinte jaune qui de loin ressemblait à l'or.

  Nestor n'était pas comme tous les autres castors. Il n'aspirait pas à construire un barrage. Lui, ce qu'il voulait, c'était bâtir une maison en bois, ou au moins une jolie petite cabane. Mais son père, en tant que chef de Clan, ne l'entendait pas de cette oreille. Nestor devait montrer l'exemple aux autres jeunes castors et être un bâtisseur de barrages irréprochable. Le jeune castor était triste.

  De temps à autre, durant ses jours de repos, Nestor bravait l'interdiction émise par son père et s'affairait à construire sa cabane. Il taillait des rondins de bois avec ses dents et les disposait à l'emplacement où ils devaient être érigés pour former une jolie petite cabane. Mais c'est là que ça se corsait. Étant un tout petit castor, il lui était impossible de redresser les rondins et sa cabane ne prenait jamais forme. De plus, son père trouva un jour sa cachette et utilisa tous les rondins taillés pour continuer de confectionner son barrage. Nestor décida alors d'abandonner son rêve et de rentrer dans le rang. Il allait aider le reste du Clan à construire son barrage.

  Beaucoup plus loin en amont, des trappeurs étaient affairés à chasser le grizzly. Ils étaient cinq en tout. Deux hommes et trois adolescents, tous de la même famille. Les adultes prenaient la chasse très au sérieux, alors que les trois jeunes garçons étaient plus là pour prendre l'air et batifoler que pour tirer sur un animal.

  Le plus jeune s'appelait Gary. Il avait douze ans. Il ne voulait pas venir mais son père avait insisté pour qu'il l'accompagne et devienne un homme en tuant un grizzly, et si possible avant ses deux cousins.

  Gary ayant soif, il décida d'aller boire l'eau de la rivière, toujours fraîche et pure. Ses deux cousins en profitèrent pour lui jouer un sale tour. Ils enfilèrent leurs épais manteaux de fourrure et le plus léger monta sur les épaules du plus costaud, de manière à grossièrement ressembler à un grizzly et faire peur à Gary.

  Ils s'approchèrent en silence de Gary et grognèrent très fort. Gary se retourna rapidement et sursauta tellement en voyant le faux grizzly qu'il bascula en arrière et tomba dans la rivière. Ses cousins appelèrent immédiatement au secours mais il était déjà trop tard. Le courant emportait déjà rapidement Gary loin de ses sauveteurs potentiels. Il se débattait comme un forcené et luttait contre le courant pour garder la tête hors de l'eau. Il essayait de nager pour gagner la rive, mais c'était impossible tant le courant était fort.

  Soudain il aperçût un rondin de bois et s'y accrocha avec la force du désespoir. C'était le rondin que Nestor transportait. Lorsque le poids de Gary se rajouta au poids du rondin, Nestor dû le détourner vers la rive. Ce n'est qu'une fois arrivé sur l'herbe qu'il remarqua le jeune garçon accroché au morceau de bois. C'était la première fois que Nestor voyait un humain. Son père lui en avait fait une vague description en lui stipulant qu'il devait les éviter comme la peste car ils étaient méchants et cruels. Celui-ci avait l'air bien innoffensif, pensait Nestor. Il attrapa le jeune garçon par le col de son manteau et usa de toutes ses forces pour le tirer entièrement hors de l'eau. Gary sortit de sa torpeur et regarda Nestor. Il ne dit rien. L'un et l'autre ne pouvaient se comprendre, mais il savait que ce petit être de fourrure venait de lui sauver la vie.

  Gary était transi de froid et décida de se réchauffer en faisant un feu. Il s'éloigna de la rivière et pénétra dans la forêt. Il y ramassa de petits morceaux de bois secs et se trouva une toute petite clairière à l'abri du vent pour installer son bûcher; Il sorti son couteau de survie et les allumettes contenues dans le compartiment étanche du manche. Nestor, qui l'avait suivi jusque là, prit peur à la vue de la lame qui servait à enlever la fourrure, comme lui avait expliqué son père, et alla se cacher plus loin derrière un groupe de petits arbres.

  Gary alluma son feu tant bien que mal et s'assit à côté pour se réchauffer. Les nuits étaient glaciales dans la forêt et, s'il ne voulait pas mourir de froid, il lui fallait se bâtir un abri de fortune. Il prit donc son couteau et commença à tailler de petits arbres pour en faire des rondins.

  Au bout de deux heures, il estima qu'il avait assez de bois et commença la construction de son abri, sous le regard curieux de Nestor qui restait toujours caché derrière les arbres. Après trente minutes et trois essais infructueux, Gary abandonna et se mit à pleurer sur son sort. Il allait mourir de froid.

  C'est ce moment que choisit Nestor pour sortir de sa cachette et commencer à ronger les petits arbres à une vitesse défiant l'imagination. Gary regardait sans comprendre ce qu'il se passait. Le castor abattait les arbres à la vitesse de la lumière et les disposait au milieu de la clairière de manière significative.

  Tout à coup, Gary comprit et vînt redresser un par un les rondins et les planter en terre en se servant d'une grosse pierre comme d'un marteau. Il reprit espoir et mit du coeur à l'ouvrage pour bâtir sa cabane de fortune.

  Quand Nestor eût fini de tailler les rondins, il alla chercher de larges feuillages qui serviraient de toit à la cabane pendant que gary terminait de ficher les rondins en terre.

  Peu avant la tombée de la nuit, la cabane était prête, solide et placée pas trop loin du feu pour en ressentir sa chaleur. Gary était sauvé. Il pourrait attendre les secours à l'abri en se nourrissant de baies grâce à un petit castor qui de son côté, avait pû réaliser le rêve de sa vie: bâtir une cabane.

  Il fallut deux jours aux secours pour trouver Gary Durant ces deux jours, Nestor ramena des baies et des fruits sauvages au jeune garçon et ne le quitta pas d'une semelle. Ils fûrent tous les deux tristes au moment de la séparation mais ils avaient vécu un moment si intense qu'il resterait gravé à tout jamais dans leur mémoire.

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